LE ROMAN QUE N'A PAS ÉCRIT AGATHA CHRISTIE |
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L'Armoire de Fer, c'est en somme la boîte de Pandore, pour Louis XVI... La boîte qui renferme tous les maux, dit-on... Sans compter que la dite Armoire, c'est tout un roman à elle seule, un roman digne d'Agatha Christie; un roman plein de secrets cachés et de mystères, un roman qui laisse entendre bien des choses, en somme... Mais finalement, "ON" l'a découverte, cette armoire, aux Tuileries, et puis "ON" l'a ouverte... et qu'est-ce qu'"ON" y a trouvé? Mais que diable! les preuves les plus accablantes, pour le Roi, de sa trahison - les preuves, noir sur blanc, pour tout dire, de ses manigances secrètes en vue de restaurer son pouvoir, son trône et la monarchie avec l'aide des puissances coalisées contre la France. Amen et point final. Après cela, il ne reste plus qu'à aller vous coucher et à dormir sur vos deux oreilles. Puisqu'on vous le dit... Le seul (petit) problème, c'est que ces preuves, on en parle, on affirme leur existence, on les déclare indiscutables... sans jamais les citer. Et pourtant, elles sont là, conservées au grand complet, aux Archives Nationales... Et puis, il y a d'autres (petites) choses aussi, avec elles, des incohérences, notamment... Vous m'en direz tant...
(Pour l'essentiel ce qui suit est constitué d'extraits de l' Enquête sur le Procès du Roi, de Paul et Pierrette Girault de Coursac, p.81 & suiv. -- voir BIBLIOGRAPHIE -- ) en rouge = citations de documents d'époque en vert = citations textuelles de l'Enquête sur le Procès du Roi |
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CHAPITRE 1 |
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L'affaire commence le 20 novembre 1792, lorsque Roland, ministre de l'Intérieur et membre du Conseil exécutif, arrive à l'Assemblée avec plusieurs volumineux paquets. «
Je viens rapporter à la Convention nationale plusieurs cartons remplis
de papiers qui, par leur nature et par le lieu où ils ont été trouvés,
m'ont paru une très grande importance. Je crois donc qu'ils sont
propres à jeter un très grand jour sur les événements du 10 août,
sur la Révolution entière, et sur les personnages qui y ont joué le
plus grand rôle. Plusieurs membres de l’Assemblée constituante et de
l'Assemblée législative paraissent y être compromis ; ils renferment
des correspondances de M. Laporte et de plusieurs autres personnes
attachées au Roi ; il y a même des lettres originales du ci-devant
Roi, et une immensité de projets sur sa Garde, sur sa maison, sur les
armées, et des combinaisons de toute espèce, relatives à la Révolution. « Si ces pièces se fussent trouvées dans les appartements des Tuileries, je les aurais remises à vos commissaires ; mais elles m'ont paru devoir être détachées des autres par leur importance. Elles étaient dans un lieu si particulier, si secret, que si la seule personne de Paris qui en avait connaissance ne l'eût indiqué, il eût été impossible de les découvrir. Elles étaient derrière un panneau de lambris, dans un trou pratiqué dans le mur et fermé par une porte de fer ; c’est l’ouvrier qui l’avait fait qui m’en a fait la déclaration. J’ai fait ouvrir ce matin cette armoire, et j’ai parcouru rapidement ces papiers. Je crois qu’il est important que l’Assemblée nomme une Commission exprès pour en prendre connaissance. »
Or, deux mois plus tard, le 22 janvier 1793, dans la lettre de démission qu'il adresse à la Convention, Roland contredit ce qu'il a affirmé dans sa déclaration de novembre, puisque, pour se justifier d'avoir fait ouvrir la dite armoire sans en avoir averti au préalable la Convention, il écrit : «Je n'ai été instruit de la cachette qu'au moment où je m'y suis transporté je n'ai eu que le temps de la faire ouvrir devant moi, d'y prendre les papiers, de les mettre dans deux serviettes, et de les porter sur-le-champ à la Convention. Deux témoins ont attesté ces faits par procès-verbal : l'Inspecteur général des Bâtiments nationaux, Heurtier, et le serrurier Gamain qui avait fait la cachette, qui seul la connaissait, et l'avait révélée ... Ma célérité prouve que je n'ai voulu ni pu rien soustraire.» On se demande bien, dans ces conditions, comment Roland a pu faire pour «parcourir rapidement ces papiers», et même aller jusqu'à détailler le contenu de certains (il y en a plus de 700!), tout en de les mettant, aussitôt sortis de l'armoire, «dans une serviette» afin de les porter «sur-le-champ à la Convention»...
Une armoire de fer, renfermant des documents secrets, voire compromettants pour celui qui les y a déposés, on peut supposer que ça ne s'ouvre tout de même pas avec la première clef venue. Non? Eh bien pas du tout ! Le 22 décembre 1792, on apporte à la Convention des clefs trouvées dans l'appartement de Thierry, premier valet de chambre de Louis XVI - et la Convention s'empresse de faire vérifier par la Commission des Vingt et Un que les clefs en question ne sont pas celles de l'Armoire de fer. On se rend donc aux Tuileries. Et de fait, l'une des clefs semble bel et bien être celle de la fameuse armoire... mais aussi de quelques autres ! «
Le 25 décembre 1792, l'an 1 de la République, les commissaires dénommés
au procès-verbal d'hier ... ont trouvé à l'heure indiquée le citoyen
Larrivée ... et le citoyen Gamain, serrurier de Versailles, qui nous a
dit avoir posé la porte de fer à l'Armoire où, sur son indication, le
ministre de l'Intérieur avait trouvé les papiers déposés à
l'Assemblée nationale. «
Le citoyen Larrivée nous a présenté une serrure, et la même dont il
nous avait parlé hier, ainsi qu'il l'a affirmé, laquelle
le serrurier a reconnu être celle de l’Armoire de Fer. Nous
l'avons aussitôt adaptée à la porte de fer, et nous avons reconnu
qu'elle est la même qui a dû fermer cette Armoire, attendu que les
liens de fer fracturés lors de l'ouverture de la porte ne laissent
aucun doute que c'est en effet sa serrure ; nous y avons ensuite présenté
les clefs, et celle n° 4 dont l'empreinte sera ainsi désignée au procès-verbal,
sur cire ardente, a parfaitement ouvert la dite Armoire ; la
même
clef ouvre aussi un placard dans le petit Cabinet du ci-devant Roi, et
deux armoires dans son grand Cabinet.
» Autrement dit, la clef n°4 en question, qui est supposée être celle de l'Amoire à Secrets, n'est en réalité qu'une petite clef fort banale, passe-partout. Et on se demande bien pourquoi Gamain a eu besoin de fracturer une serrure qui s'ouvre aussi aisément pour permettre à Roland de saisir les papiers compromettants !...
Mais
qu’a-t-on trouvé au juste dans l'Armoire de Fer ?
Quels sont donc ces papiers si compromettant pour le Roi ? La
Commission des Douze, créée à cet effet le 20 novembre 1792, en a
dressé le catalogue. Celui-ci a été imprimé par ordre de la
Convention en même temps que 297 pièces qui ont été reproduites in
extenso sur un total de 726 pièces trouvées dans l'Armoire. En
voici une nomenclature sommaire, dans l'ordre de l'inventaire : N°
1 à 92 : Papiers relatifs au Clergé. Correspondance du Roi avec le
Pape et avec l'archevêque d'Aix relativement à la Constitution Civile
du Clergé. Plaintes adressées au Roi par des évêques et des
communautés religieuses au sujet des sévices et vexations dont ils
sont l'objet de la part des administrations municipales et départementales. N°
93 à 192 : Pièces relatives à la Maison du Roi. Organisation de la
Maison militaire du Roi. Plans et projets pour l'administration de la
Liste civile. Economies proposées. Paiement des anciennes dettes du
comte d'Artois. Etat de
la dépense des Enfants de France. Projet de réforme de la livrée.
Liquidation des charges et offices de la Maison du Roi. Cautionnement
accordé par le Roi aux Libraires Associés. Réclamation
de plusieurs municipalités au sujet des dépenses que leur a occasionné
le passage du Roi, à son retour de Varennes. Liquidation
des pensions de la Maison militaire du Roi. Dépenses de la Bouche
(c’est-à-dire de la cuisine). Projet pour l'organisation de la Maison
civile du Roi. Comptes des fonds particuliers du Roi. Etat général de
la dépense des Maisons du Roi et de la Reine, de la Chapelle du Roi,
des Ecuries, de la Musique, etc. Etat des bâtiments de Saint-Cloud.
Etat de la dépense pour le service de Mesdames. N°
193 à 231 bis: Lettres de Laporte, Intendant de la Liste civile, au
Roi. N°
232 à 612 : Lettres, projets divers, conseils en tous genres reçus par
le Roi. Projets de lettres ou de discours, minutes de lettres de la main
du Roi. On
remarquera en particulier dans cette dernière série, des Mémoires
conseillant au Roi d'accepter ou de refuser la Constitution qui doit lui
être présentée en septembre 1791, avec des projets pour le discours
qu'il devra faire devant l'Assemblée
à cette occasion (n° 405 à 435) ; des lettres de Talon et Sainte-Foix
(n° 264 à 275) , de La Fayette (n° 340 ter à 359), et des lettres de
ministres de la période révolutionnaire (n° 437 à 612), parmi
lesquelles une quarantaine de lettres de l'Intendant des bâtiments d'Angivilliers (n° 460 à
511).
N°613
à 625 : Un récit des principaux événements de la Révolution depuis
la déclaration du Roi du 23 juin 1789 ; il s'agit d'une seule pièce
en plusieurs cahiers. Voilà
donc
les papiers que le
Roi aurait voulu soustraire aux recherches de ses ennemis, tout en les
conservant précieusement ! Et pour y arriver, Louis XVI aurait pris des
précautions puériles, ridicules par leur excès même; il les aurait
placés dans un corridor obscur, fermé aux deux bouts, derrière un
panneau de boiserie, dans un trou creusé dans le mur et fermé par une
porte en fer munie d'une «serrure de sûreté » ! Le
plus curieux, c'est que les pièces à conviction qu'on doit croire réellement
compromettantes pour le Roi, comme le fameux billet de ses frères « Nous sommes ici deux qui n'en font qu'un ... », ou les
lettres du prince de Poix relatives au paiement des gardes du corps émigrés,
n'ont pas été trouvées dans l'Armoire de Fer, mais dès le 15 août,
et tout simplement dans le grand secrétaire de la chambre du Roi. Enfin, et c'est le plus extraordinaire, l'Armoire de Fer contient des pièces à décharge qui innocentent le Roi sur plusieurs accusations.
Bref, il n'est pas nécessaire de s'appeler Hercule Poirot et d'avoir des petites cellules grises d'une qualité hors du commun pour comprendre tout de suite qu'il y a dans toute cette affaire bien des choses passablement étranges ou, pour mieux dire, proprement incohérentes. Résumons : - Un ministre qui déclare avoir parcouru des documents, avoir jugé ainsi de leur importance capitale... puis qui s'en défend (il est vrai que ça relève de l'exploit de parcourir d'un coup d'oeil, en un rien de temps, 726 pièces dont certaines contiennent 10, 20 et jusqu'à 100 pages!!!) - Une serrure supposée de sûreté et que celui qui l'a posée est contraint de fracturer pour permettre au Ministre d'avoir accès aux documents contenus dans l'Armoire, mais qui, devant témoins, s'ouvre comme par enchantement avec une simple clef qui ouvre d'autres portes... - Des documents supposés secrets et compromettants, dont certains s'avèrent être une excellente défense pour celui qui les aurait ainsi soustrait à l'attention de ses accusateurs. Ce n'est plus de la bêtise, c'est du sado-masochisme!
Non, il n'est pas besoin de s'appeler Hercule Poirot... Il suffit de faire appel à un tout petit peu de logique... L'Armoire de Fer constitue en elle-même un fait incontournable. Ce qui pose problème tout de suite, en revanche, c'est sa serrure... Puisqu'Armoire de fer il y a bel et bien, la logique voudrait en effet qu'elle ait été munie au minimum d'une serrure de sûreté. Et puisque tel n'est pas le cas de toute évidence, c'est qu'il y a eu tromperie sur la marchandise. Autrement dit, Gamain, le serrurier a trompé son client.. Personne ne s'en étonne? Louis XVI a pourtant la réputation d'être un fervent passionné de serrurerie!!! Comment, dans ces conditions, aurait-il pu se laisser ainsi berner, et qui plus est, après avoir fait appel à... un jacobin, pour contruire sa fameuse Armoire secrète ?! Et puis, à l'usage, comment aurait-il pu faire pour ne pas s'aviser que la clef qu'il employait pour ouvrir sa fameuse armoire ouvrait aussi d'autres placards? Alors, quelle autre possibilité reste-t-il? Sinon que Louis XVI n'ait pas du tout été le client du sieur Gamain... Vous voulez connaître la clef du mystère? Alors cliquez sur : |