LE ROMAN QUE N'A PAS ÉCRIT AGATHA CHRISTIE

 

CHAPITRE 2

 

A qui profite le crime...

Un bien curieux serrurier

Une serrure... et une clef inattendue

Le Roi semble se contredire

L'Armoire... et ce qui ne s'y trouvait pas...

En quoi les révolutionnaires étaient décidément très... modernes!

 

 

... Et si Louis XVI n'a pas été le client de Gamain, qui d'autre avait intérêt à ce qu'existe la fameuse Armoire de Fer, afin que le Roi fût définitivement perdu aux yeux de l'opinion publique, sinon celui qui l'a découverte?

    Roland haïssait Louis XVI qui, le 13 juin 1792, l'avait renvoyé pour incompétence. De cette haine, on en a la preuve. Lorsque le Roi sera prisonnier, Roland ira jusqu'à refuser aux Commissaires du Temple "le linge et les hardes à l'usage du ci-devant Roi et de sa famille" que ceux-ci lui réclament en novembre 1792. Une nouvelle demande en ce sens sera pareillement repoussée en janvier 1793. Et lorsque, le 20 janvier, le Conseil exécutif arrêtera que le Roi sera conduit à l'échafaud, le lendemain, dans la voiture du maire Chambon, et non dans la charrette du bourreau, comme il en avait été question, seul de tous les ministres, Roland refusera de signer cette décision pour mieux manifester son désaccord.

    Roland, réintégré dans son poste de ministre de l'Intérieur, le 10 août, est aussi celui qui de tous connaît le mieux les Tuileries... puisqu'il y a tout bonnement installé son bureau, afin de veiller à la conservation de tout ce que contient le château, comme le lui a demandé l'Assemblée. Et Roland sait, par ailleurs, à qui s'adresser en toute confiance, pour lui désigner celui qui construira la fameuse armoire : Heurtier, Inspecteur général des Bâtiments Nationaux, qui doit sa place au ministre et qui, pour sa part, a nommé Gamain gardien de l'atelier et du laboratoire du Roi à Versailles - un poste des plus lucratifs pour celui-ci, puisqu'il  n'hésitera pas à s'enrichir en vendant l'essentiel des superbes pièces qui avaient été placées sous sa garde. Une rapacité qui se manifeste précisément dans le fait qu'en lieu et place de la serrure de sûreté (très cher), sur l'Armoire en fer, il fixera une simple serrure - et qui plus est à l'extérieur.

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    C'est l'historien et journaliste révolutionnaire Soulavie, qui  a créé de toutes pièces la légende de Gamain enseignant la serrurerie au Roi. Gamain n'avait que trois ans de plus que Louis XVI et n'a jamais exercé lui-même le métier. Il avait le droit de diriger une entreprise de serrurerie parce que son père était maître serrurier. Il existe une preuve convaincante de son ignorance de ce métier : en construisant l'Armoire de Fer, il a mis la serrure, non pas à l'intérieur de l'Armoire comme cela se fait toujours, mais à l'extérieur. C'est ainsi qu'il a pu l'ouvrir en brisant les liens de cette serrure, comme le constate le procès-verbal des commissaires envoyés pour faire l'essai des clefs.

    Quand à la provenance de la dite serrure, il n'est guère sorcier de la déduire, à la lumière de ce qui s'est passé par la suite.

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    A l'époque où l'Armoire de Fer fut installée (probablement aux alentours du 18 septembre), la plupart des armoires, secrétaires, placards du Cabinet du Roi avaient été forcés. Les serrures ne manquaient pas... Ce que Gamain ignorait, c'est que les clefs avaient été remises (le 12 août 1792) par Louis XVI à Thierry de Ville d'Avray, son premier valet de chambre - «Je me ressouviens d'avoir remis  des clefs aux Feuillants à Thierry, parce que tout était sorti de chez moi, et que je n'en avais plus besoins.», dira le Roi lors de son procès. Ces clefs qui seront apportées à la Convention le 21 ou 22 décembre et remise à la Commission des Vingt et Un afin qu'elle aille vérifier si l'une ou l'autre ouvrait la serrure de l'Armoire de Fer. Ce qui se vérifia, comme de bien entendu!...

    Mais alors, pourrait-on demander, pourquoi donc Louis XVI ne s'est pas étonné de la soudaine apparition de cette armoire? Pourquoi n'a-t-il pas protesté?

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    La réponse est fort simple : personne n'y fit allusion devant lui, excepté le 11 décembre 1792. Ce jour-là, après son interrogatoire à la Convention, Louis XVI a demandé que les pièces du procès lui soient communiquées.

    Le Girondin Valazé, rapporteur de la Commission des Vingt et Un et auteur du réquisitoire du  6 novembre, a été chargé de faire passer une partie des pièces à conviction sous les yeux du Roi. Et voici comment, pour la première et l'unique fois de tout le procès, Louis XVI entend parler de l'Armoire de Fer:

    «Valazé : Plusieurs pièces sans signature, trouvées au château des Tuileries dans la baie qui était close dans les murs du palais, relatives aux dépenses à faire pour gagner cette popularité.

    «Le président : Avant l'interrogatoire à ce sujet, je demande à faire une question préliminaire :

    «Avez-vous fait construire une Armoire avec une porte de fer au château des Tuileries, et y avez-vous fait renfermer des papiers?

    «Louis : Je n'en ai aucune connaissance.

    «Valazé : Voici un journal de la main de Louis Capet, portant les pensions qu'il a accordées sur sa cassette depuis 1776 jusqu'en 1792, parmi lesquelles on remarque des gratification accordées à Acloque pour son faubourg. [! Cliquez ici !]

    «Louis : Je reconnais celui-là, mais ce sont des charités que j'ai faites.

    «Valazé : Divers états de sommes payées aux compagnies écossaise, de Noailles, Gramont et Montmorency-Luxembourg, au 1er juillet 1791.

    «Louis : Ceci est antérieur au temps où j'ai défendu de les payer.

    «Le président : Louis, où aviez-vous déposé ces pièces reconnues par vous?

    «Louis : Chez mon Trésorier.»

On remarquera la façon cryptique dont le Girondin Valazé fait allusion à l'Armoire de Fer: « la baie qui était close dans les murs du palais ». Sans l'intervention du président Barrère, qui est Montagnard et qui n'est pas, comme son collègue, dans le secret de Roland, sans sa question d'une précision intempestive, Louis XVI n'aurait en effet rien compris, et n'aurait pas pu répondre clairement comme il l'a fait.

Mais Valazé présente au Roi, devant la Convention tout entière, comme exemple de pièces trouvées dans l'Armoire de Fer, des pièces d'une importance capitale pour l'accusation : un carnet de la main du Roi et sur lequel figurent les sommes qu'il faisait distribuer aux ouvriers des faubourgs ; les états, signés de lui, des appointements de ses gardes du corps dont le plus grand nombre avait émigré et formait une partie importante de l'armée des princes!

(…) Pour tout lecteur du compte rendu de cet interrogatoire, les réponses en question ne sont que des dénégations sans fondement ; et elles ne peuvent que le convaincre davantage de l'importance de la découverte de l'Armoire de Fer et des pièces qu'on y a trouvées.

Et pourtant Louis XVI n'a pas menti. Nous savons déjà qu'il n'a pas fait construire l'Armoire de Fer. Mais d'autre part, non seulement aucune de ces pièces ne figure dans l'inventaire des papiers de l'Armoire de Fer dressé par la Commission des Douze et imprimé par ordre de la Convention, mais encore on peut lire la description de ces pièces et connaître leur provenance dans l'"Inventaire des pièces recueillies par la Commission des Vingt et Un". (...) Elles sont marquées soit "Commission des Tuileries" (c'est-à-dire qu'elles viennent toutes des secrétaires, armoires et placards du Cabinet du Roi); soit "Du Comité de Sûreté Générale" (et celles-ci sont de provenance très diverses). Aucune des pièces présentées ce jour-là au Roi n'est notée "Commission des Douze" ou "Cotées par Roland n° x", comme le sont toutes les pièces soit-disant trouvées dans la (désormais) légendaire Armoire de Fer! Quant à l'état des appointements des gardes du corps, il a été imprimé sur ordre de l'Assemblée Législative à la date du 21 août 1792, dans le deuxième recueil des pièces trouvées dans les locaux de la Liste Civile, autrement dit chez le Trésorier, comme l'a déclaré Louis XVI.

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    La démarche était au fond très... moderne, sans conteste; le scénario était habilement construit, psychologiquement redoutable.

    Le Roi répond fermement à chaque question, mais si l'on se place selon le point de vue "officiel", qui veut que ce soit lui qui a fait construire l'Armoire, alors ses dénégations paraissent aussitôt bien faibles et bien maladroites, comme lorsqu'on nie l'évidence. On introduit dans le discours une allusion à la fameuse Armoire, dont le Roi nie connaître l'existence; puis on présente des pièces à l'accusé, en laissant entendre qu'elles ont été trouvées dans la dite Armoire, et le Roi finit par admettre qu'il en reconnaît certaines, oui... Qu'en déduisez-vous?

  Les bredouillements que les journalistes prêtent volontiers, à l'époque, au Roi achèvent de convaincre... Non? Et tellement bien, d'ailleurs, que l'histoire est restée, telle qu'elle avait été inventée par le ministre Roland et par ses amis. Elle est même devenue l'Histoire, telle qu'on la raconte encore, aujourd'hui. Et ce n'est qu'un exemple, parmi tant d'autres!

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A propos de ces sommes versées au commandant d'un bataillon de la Garde Nationale, Acloque, soit disant pour essayer de soulever les faubourgs en sa faveur - Mme Acloque a écrit à la Commission des Vingt et un, pour déclarer :

«Pas du tout, c'est mon mari, jacobin bon teint, qui était chargé de la distribution; l'argent est passé par les deux paroisses et on l'a entièrement dépensé en couverture, en effets divers, en approvisionnement, et je vous envoie l'inventaire complet.»

    On n'a même pas su que l'argent venait du Roi, et Acloque a été félicité par son district d'avoir pensé à secourir les pauvres!

Voilà le commentaire de Valazé au sujet de cette lettre et de quelques autres :

    «Depuis l'établissement de votre commission des vingt-et-un, elle a été journellement accablée de pareils envois. La Commission a souvent présenté de pareils paquets à la Convention nationale qui, en passant à l'ordre du jour, n'a pas fixé à sa Commission l'ordre qu'elle devait tenir, la plupart de ces pièces sont donc encore à la commission.»

    Et Paul et Pierrette Girault de COursac de conclure:

    «On les retrouve aujourd'hui dans les cartons d'archives. Et elles n'ont pas servi au procès du Roi, le Roi n'a jamais su que ça existait! Ses avocats n'en ont jamais été informés.» (Entretiens sur Louis XVI - voir BIBLIOGRAPHIE) RETOUR AU TEXTE