LA MORT DU ROI

 

 

Les adieux de Louis XVI à sa famille

   Extrait d'une chanson qui courait dans les rues de Paris en décembre 1792

Ô mon peuple, que t'ai-je donc fait?

J'aimais la vertu, la justice;

Votre bonheur fut mon unique objet,

Et vous me traînez au supplice...

***

Si ma mort peut faire votre bonheur,

Prenez mes jours: je vous les donne.

Votre bon roi, déplorant votre erreur,

Meurt innocent, et vous pardonne.

***

Ô mon peuple, recevez mes adieux;

Soyez heureux, je meurs sans peine.

Puisse mon sang en coulant sous vos yeux,

Dans vos coeurs éteindre la haine.

 - Une chanson qui fait écrire à Prudhomme, dans Révolutions de Paris (décembre 1792), qu'«elle se vend déjà par milliers, jusqu'à faire oublier l'hymne des Marseillais.» -- et qui, en janvier, fait dire à Bazire, pour expliquer sa hâte de voir mourir le roi : «Si Louis Capet restait enfermé, votre repos serait bientôt troublé par les clameurs d'une pitié factice et d'une romance trop connue

 Bien entendu, la mort de Louis XVI a elle aussi donné lieu à de nombreuses légendes. Ici, on a voulu que le Roi manifeste faiblesse, lâcheté et terreur, à l'instant de paraître devant Dieu ; là que les cieux se soient entrouverts et que la terre se soit mise à trembler, à l'instant de l'exécution. C'est pourquoi une fois de plus nous nous tournons  vers Paul et Pierrette Girault de Coursac dont le récit des derniers moments du Roi est d'une grande sobriété - il en esr d'autant plus bouleversant -, chaque détail ayant été, comme d'ordinaire,  minutieusement cherché et vérifié, à l'aide de témoignages (émanents de personnes hostiles au Roi) et par recoupement de multiples documents d'époque, publiés le jour même ou dans les jours qui ont suivi - et non vingt ou trente ans plus tard comme les "documents" cités généralement sur le sujet...

Un régime carcéral spécialement inventé pour le roi

Les derniers jours

Le 21 Janvier 1793

D'autres légendes encore

Le mot de la fin 

 

(Extraits de l'Enquête sur le Procès du Roi - Voir BIBLIOGRAPHIE)

Les règlements édictés par l'Assemblée législative pour les prisonniers politiques - règlements qui continueront d'être observés, même au plus fort de la Terreur, à Paris tout au moins -, maintiennent le droit aux journaux, aux lettres, aux visites, à la libre circulation, pendant le jour, dans les locaux de la prison: couloirs, cours et jardins.

Louis XVI a été l'exception, pour lequel un régime spécial a été inventé, un régime qui va s'aggraver jusqu'à devenir un harcèlement continuel.

Dans sa description des prisons staliniennes, au tome 1 de L'Archipel du Goulag, Soljénitsyne considère la garde à vue comme une torture:

« Pour chaque bloc de sept cellules, on compte deux gardiens, si bien que le judas vous regarde aussi souvent qu'il faut de temps à un gardien pour passer deux portes et atteindre la troisième ... On vous regarde sans cesse, vous êtes constamment à merci. »

Les deux gardiens du Roi, qui sont changés tous les jours, n'ont pas, eux, sept cellules à surveiller, et ne restent pas discrètement dans le couloir. Ils sont attachés « spécialement à la personne de Louis XVI ». Sauf la nuit, où leurs lits barricadent la porte de sa chambre, ils ne quittent pas des yeux le prisonnier.

Soljénitsyne parle aussi des muselières comme d'une invention diabolique des temps modernes:

« Les muselières ... plongent en permanence la cellule dans la pénombre; - l'obscurité est un facteur important pour déprimer le détenu - ... La lecture devient un supplice pour les yeux ... Le pain, en l'espace d'une matinée, se couvre de moisi et verdit ; la literie est toujours humide, les murs verdissent. » Quant aux vêtements, ils tombent rapidement en lambeaux - ce qui explique pourquoi Mme Elisabeth était sans cesse obligée de réparer les habits de son frère!

A partir du 29 septembre 1792, Louis XVI a vécu, non dans une « coquette prison », comme n'a pas craint de l'écrire un historien connu, mais dans le donjon du Temple, casemate militaire du XIIIe siècle, rendue plus sombre encore par les tuyaux de cheminée, les gros barreaux de fer et les muselières de bois qui obstruent des « fenêtres », vraies meurtrières taillées dans des murs de près de trois mètres d'épaisseur. Et tout cet aménagement a été conçu uniquement pour un Roi qui, en adoucissant le sort des prisonniers de droit commun, avait mis l'air et la lumière au nombre des droits de tous les hommes!

    C'est à partir de ce même 29 septembre que Louis XVI a été séparé de sa famille, n'a plus été autorisé à la voir qu'au moment des repas, et seulement pendant une heure chaque fois. Le 11 décembre, la séparation est devenue complète, et le Roi a été privé de toute communication avec les siens. Le seul adoucissement qui lui ait été accordé, a été de voir ses défenseurs sans témoins. Outre le réconfort de présences amicales, leurs visites quotidiennes ont procuré un dérivatif à l'ennui qui rongeait cet homme accoutumé depuis l'enfance à une vie d'activité et de travail continuels.

remonter

 

    Le 18 janvier, on arrête que le Roi n'a plus besoin de voir ses avocats; de plus, on affecte quatre commissaire, au lieu de deux, à sa surveillance continuelle. On arrête en outre que les commissaires de service seront tenus de «faire les plus exactes recherches dans l'appartement de Louis Capet.» Et c'est ainsi que Louis XVI passe l'essentiel de sa journée du 19 janvier... à faire, avec ses geôliers, son inventaire après décès. C'est la seule fois où le Roi, poussé à bout, exprimera des plaintes au Conseil Général.

    Le 20 est notifié à Louis XVI les décrets de la Convention et la date qui a été fixé pour son exécution.

    A neuf heures du soir, le 20 janvier, les commissaires de garde au Temple se résignent à permettre au Roi de voir sa famille, mais en leur présence. Après quoi, le Roi a soupé, tard - à onze heures - puis est demeuré seul avec son confesseur jusqu'à deux heures du matin.

remonter

 

   Le 21 janvier, à six heures du matin, pour la première fois depuis le 9 août 1792, Louis XVI entend la messe.

    A huit heures, Santerre se présente au Temple, accompagné des officiers municipaux envoyés par la Commune pour assister à l'exécution: les prêtres jureurs Jacques Roux et Jacques-Claude Bernard.

    Le chemin du Temple à la place de la Révolution, au très petit pas des chevaux, dans les rues obstruées par la neige malgré les ordres du Conseil général, dure plus de deux heures. Prudhomme qui suit maintenant le rapport des gendarmes qui surveillaient le prisonnier, déclare que Louis XVI a occupé ces deux heures à lire « les prières des agonisants ».  Le journaliste Perlet, qui guette le visage du Roi, pour l'amusement de ses lecteurs, ajoute: « Il avait l'air pensif, mais non abattu. »

    Louis XVI arrive au pied de l'échafaud à dix heures dix minutes, à la montre de Jacques Roux. Quelques minutes à peine le séparent de la mort. Mais ce n'est pas à lui-même qu'il pense. On lit dans les Révolutions de Paris : « Arrivé à la place de la Révolution, il recommanda à plusieurs reprises au lieutenant (de gendarmerie, Lebrasse), son confesseur, et descendit de voiture. »

Tout le monde - entendons les Jacobins qui ont vu et qui ont parlé sur­le-champ - tout le monde s'étonne de son «air déterminé et courageux », et constate « la fermeté et le calme » avec lesquels il envisage la guillotine, et cette foule impatiente d'ennemis exaspérés par une attente de neuf heures. Perlet ajoute : « Ses cheveux n'étaient pas en désordre, son teint n'était pas altéré. »

Et les Révolutions de Paris, au rapport des gendarmes : « Il ôta son habit et son col lui-même, et resta couvert d'un simple gilet de molleton blanc. Il ne voulait pas qu'on lui coupât les cheveux, et surtout qu'on l'attachât. Quelques mots dits par son confesseur le décidèrent à l'instant.»

Nous savons qu'il est monté à l'échafaud « avec fermeté », sans aide et « d'un pas assuré ». Les tambours de l'escorte se sont rangés, sans cesser de battre. Ils s'arrêtent tout d'un coup lorsque Louis XVI « fonce sur le devant de l'échafaud ». Les spectateurs les plus rapprochés entendent les der­nières paroles qu'il adresse à son peuple:

« Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute ; je pardonne aux auteurs de ma mort ; je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe pas sur la France. »

Santerre veille. Un ordre bref, et les tambours reprennent. La dernière phrase du Roi se perd dans le tumulte. Seuls les mots Dieu, sang et France parviennent jusqu'aux auditeurs, d'où les versions fantaisistes publiées par les journaux. Nous avons préféré celle de l'abbé Edgeworth parce qu'elle sera bientôt confirmée par un geste affreux des Marseillais. Seuls les gen­darmes et quelques fédérés entendent l'exclamation d'Edgeworth : « Allez, fils de Saint Louis, le ciel vous attend. »

Tout est fini maintenant. Louis XVI ne songe pas à résister ni à se débattre. Le bourreau, dans sa lettre du 23 février au rédacteur du journal Le Thermomètre du jour, est formel sur ce point : « Il se laissa conduire à l'endroit où on l'attacha. » Pendant qu'on le lie à la planche, il s'adresse aux bourreaux dans un dernier effort pour que son ultime message parvienne au peuple : « Messieurs, je suis innocent de tout ce dont on m'inculpe. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. »

    On lit dans le procès-verbal de l'exécution : « A dix heures vingt-deux il a monté sur l'échafaud. L'exécution a été à l’instant consommée, et sa tête a été montrée au peuple. » Et dans le rapport de Bernard et de Roux : « Il est arrivé à dix heures dix minutes ; il a été trois minutes à descendre de voiture. Il a voulu parler au peuple. Santerre s'y est opposé. Sa tête est tombée. Les citoyens ont trempé leurs piques et leurs mouchoirs dans le sang. »

    Sur cette dernière scène, les Révolutions de Paris ajoutent quelques détails : « Quantité de volontaires (marseillais et brestois) s'empressèrent de tremper dans le sang du despote, le fer de leur pique, la baïonnette de leur fusil ou la lame de leur sabre. Beaucoup d'officiers du bataillon de Marseille et autres, imbibèrent de ce sang impur des enveloppes de lettres qu'ils portèrent à la pointe de leur épée en disant :  Voilà le sang d'un tyran . Un citoyen monta sur la guillotine même, et plongeant tout entier son bras nu dans le sang de Capet qui s'était amassé en abondance, il en prit des caillots plein la main, et en aspergea par trois fois la foule des assistants qui se pressaient au pied de l'échafaud pour en recevoir chacun une goutte sur le front. - Frères, disait le citoyen en faisant son aspersion, frères, on nous a menacés que le sang de Louis Capet retomberait sur nos têtes! Eh bien, qu’il y retombe ! Louis Capet a lavé tant de fois ses mains dans le nôtre! Républicains, le sang d'un Roi porte bonheur! »

Tout cela se passait dans un pays civilisé, de culture occidentale et chré­tienne, au siècle des Lumières, de la sensibilité et des droits de l'homme.

remonter

 

(Extrait de Entretiens sur Louis XVI - voir BIBLIOGRAPHIE)

     Certaines revues, notamment lors du bicentenaire de la mort de Louis XVI se sont complus à répandre une légende imbécile selon laquelle le Roi aurait eu le cou trop gros pour tenir dans le croissant de la guillotine, qu'il avait poussé des cris, et que sa mâchoire avait été coupée. C'est une pure imbécillité, directement inspirée des faux mémoires de Santerre parus sous le Second  Empire. Ni les témoins, parmi lesquels Marat ou Prudhomme, ni les membres de la Commune qui avaient été envoyés pour assister à l'exécution, ni les témoins qui étaient autour de l'échafaud, ni les journalistes qui ont interviewé tout le monde, ni le bourreau, ne se sont aperçus que Louis XVI avait crié ou qu'il avait eu la mâchoire coupée.

    Seulement, beaucoup de journalistes partagent l'opinion de Choderlos de Laclos ou plutôt d'un de ses héros : "Donnez beaucoup de détails, ça paraîtra plus vrai". Et il y a un bouquin qui a été écrit sur l'exécution de Louis XVI par un dénommé Pierre de Vaissière, au début de ce siècle; il dit : "Ces détails sont trop minutieux pour avoir été inventés." Il suffit de dire des bêtises, si ça a l'air détaillé, c'est vrai! La vérité est à bon marché.

   Pourquoi voulez-vous que Louis XVI, qui trouvait que la mort devait lui être douce, se mette à crier? Est-ce que vous imaginez que pour lui la mort c'était quelque chose de difficile? Il avait souffert bien plus que de la mort. La seule chose qui le désolait, c'était le sort qu'il laissait après lui à sa famille. Parce qu'il savait très bien qu'ils étaient tous perdus. Il aurait été très étonné que sa fille ait survécu. Il l'a dit à Malesherbes : c'était la seule chose qui le tourmentait terriblement au moment de la mort. C'est pour cela qu'il a essayé d'obtenir par surprise de la Convention un décret à ce sujet. Il leur a dit : "Maintenant que je suis condamné à mort, je voudrais bien que vous vous occupiez du sort de ma famille que vous n'avez aucune raison de continuer à détenir." On lui a répondu que la Nation, toujours grande et juste, et généreuse, s'occuperait du sort de sa famille. Il a tout de suite compris. Madame Elisabeth et Marie-Antoinette se faisaient d'étonnantes illusions, mais Louis XVI, lui, ne s'en faisait aucune.

     LOUIS XVI aux députations de toutes les gardes nationales du royaume, 13 juillet 1790 :

    «Redites à vos concitoyens que j'aurais voulu leur parler à tous comme je vous parle ici. Redites-leur que leur Roi est leur père, leur frère, leur ami, qu'il ne peut être heureux que de leur bonheur, grand que de leur gloire, puissant que de leur liberté, riche que de leur prospérité, souffrant que de leurs maux. Faites surtout entendre les paroles, ou plutôt les sentiments de mon coeur dans les humbles chaumières et dans les réduits des infortunés. Dites-leur que, si je ne puis me transporter avec vous dans leurs asiles, je veux y être par mon affection et par les lois protectrices du faible, veiller pour eux, vivre pour eux, mourir, s'il le faut, pour eux.»   

remonter